vendredi 31 décembre 2010

Etincelles artistiques...

L’Oeuvre d’ Emile Zola.

Editions Le Livre de Poche, 09/2008, 520 pages.

Résumé : « L’Oeuvre dit la tragédie d’un homme, Claude Lantier, tempérament romantique hanté par des rêves d’absolu, le désir de « tout voir et tout peibdre. Des fresques hautes comme le Panthéon ! Une sacrée suite de toiles à faire éclater le Louvre ! ». Mais, devant l’incompréhension de l’époque, l’absolu du rêve deviendra celui de la détresse, et Claude, qui a commencé comme Manet, aura la même fin que Van Gogh. »

Mon avis : Zola, l’écrivain. Zola, le critique d’art. Voilà une nouvelle facette de ce génie du XIXème siècle qui, non content d’avoir participé à un important mouvement littéraire, s’est également entouré de toute une bande d’artistes avant-gardistes qui formeront cette école tant décriée par les puritains de l’art romantique : les impressionnistes (Cézanne, Monet, Manet, Renoir...). C’est cette lutte entre deux écoles artistiques à l’esthétiques radicalement différentes, l’une étant l’antithèse exacte de l’autre, qui est narrée dans L’Oeuvre, où Zola, par le biais de son protagoniste Claude Lantier (fils de Gervaise et de Lantier dans L’Assommoir) trace le destin tourmenté du nouveau courant artistique flamboyant du naturalisme et de l’impressionnisme qui se pose en contre-pied de la peinture académique aux dorures classiques et romantiques qui fait figure d’autorité et d’art absolu dans ce siècle en ébullition.

Une nouvelle tragédie à laquelle nous convie Zola. Claude Lantier –peintre désespéré par son génie qui peine à s’exprimer pleinement dans ses toiles et qui, sans cesse, tombe dans la misère de l’incapacité à procréer une oeuvre magistrale, qui ferait office de chef d’oeuvre absolu en cette fin de siècle- s’affiche, par ses choix esthétiques et ses théories artistiques novatrices, comme le meneur de troupe de ce courant révolutionnaire du pleinairisme qui va alors faire scandale au Salon où le jury (composé essentiellement d’artistes de la vieille école) refusera catégoriquement chacune de ses oeuvres décadentes, marginales et écoeurantes par leur trop plein de couleur, leur spontanéité bondissante, leur procédé de peinture grossier, qui entre en conflit avec l’idéal classique de l’Institut des Arts, qui fait office d’étendard inviolable de la peinture et de la sculpture. Cette injustice va devenir le combat incessant et exténuant d’un groupe d’artistes aux idées naturalistes tels que Sandoz, un écrivain qui a l’ambitieux projet de réunir en plusieurs romans toute la société, tout le monde grouillant de Paris (double exact et parfait d’ Emile Zola) ou encore le sculpteur Mahoudeau qui va pétrir des femmes dénudées de tout enjolivure mythologique ou débordement romantique. Le combat est rude mais les impressionnistes gagneront peu à peu du terrain grâce à des relations privilégiées (le journaliste Jory notamment) mais Claude, dans son éternelle insatisfaction, hanté par les démons du romantisme qui imprégneront notamment sa dernière toile, se laisse submerger par le désespoir d’une création qui s’affaisse et qui ne fait que dévorer l’artiste.
L’art est mortel et ne se lasse pas de torturer son esclave. La perfection que recherche Claude semble inaccessible et le plonge dans un mécanisme d’autodestruction, la peinture l’obnubile, il n’a d’yeux que pour ses toiles malgré sa conscience d’un génie artistique avorté. Le chef d’oeuvre tant attendu ne parvient pas à voir le jour.

L’Oeuvre est un roman de la lutte pour la création, cette violente tempête qui gronde dans le coeur de l’artiste et qui le gangrène de l’intérieur. Les femmes peintes deviennent des amantes aux allures de succubes, qui aspirent l’essence artistique de leur créateur et le convie à une déchéance inévitable. Le mal de l’artiste, cette maladie qu’on appelle la création artistique, ou plutôt devrait-on dire la passion illusoire et proprement immatérielle que suscite ces êtres de couleur et de coups de pinceau qui capturent tout entier l’artiste et ne le relâche que dans un souffle de mort et d’insatisfaction éternelle.

Emile Zola dresse ici un manifeste du naturalisme où ses goûts et ses opinions en matière de peinture, et d’art en général, prennent sens notamment dans les choix des personnages et leurs parcours, mais aussi de manière plus « concrète » et créatrice dans les descriptions de Paris qui sont superbes, de véritables tableaux impressionnistes menés d’une plume poétique et sensuelle où la lumière du soleil est au coeur de l’attention de l’écrivain. Le pleinairisme s’exprime ici dans toute sa splendeur et Zola nous émerveille. Si les descriptions zoliennes vous découragent d’habitude, laissez vous charmer par L’Oeuvre où les choix esthétiques de l’écrivain sont criants de sincérité et nous envoûtent, à l’image d’un tableau flamboyant.

Cette oeuvre d’ Emile Zola est riche et cela prendrait des journées entières de découdre toutes ces pages au lyrisme troublant où se joue une nouvelle fois une tragédie humaine (également sur le plan de l’amour, Christine délaissée par Claude, son époux, qui n’est attiré que par ses peintures et en fait ses maîtresses). Un long cri de désespoir qui se perd dans le bouillonnement de l’art.

Du très grand Zola !

mardi 28 décembre 2010

Ave Maximus!


Une heureuse nouvelle vient de tomber dans ma boite mail et je vous en fais part, car je sais ne pas être le seul lecteur fidèle de cet auteur français talentueux: Maxime Chattam. En effet, il a crée un nouveau site officiel qui se présente sous la forme d'un blog et qu'il entretient régulièrement. Il y parle de ses projets, de sa manière de travailler, répond aux questions des lecteurs, etc... Une bonne nouvelle!

Voici l'adresse: http://www.maximechattam.com/blog/



dimanche 26 décembre 2010

Bonnes fêtes!


Je vous souhaite, à toutes et à tous, de belles fêtes de fin d'année! J'espère que les livres vous auront, encore une fois, donné du bonheur au pied du sapin!


Je vous embrasse, à très vite !

mardi 21 décembre 2010

Le Diable dans la lande...

Les Hauts de Hurle-Vent d’ Emily Brontë.

Editions Le Livre de Poche, 06/2009, 415 pages.

Résumé: "Les Hauts de Hurle-Vent sont des terres balayées par les vents du nord. Une famille y vivait, heureuse, quand un jeune bohémien attira le malheur. Mr. Earnshaw avait adopté et aimé Heathcliff. Mais ses enfants l'ont méprisé. Cachant son amour pour Catherine, la fille de son bienfaiteur, Heathcliff prépare une vengeance diabolique. Il s'approprie la fortune de la famille et réduit les héritiers en esclavage. La malédiction pèsera sur toute la descendance jusqu'au jour où la fille de Catherine aimera à son tour un être misérable et fruste."

Mon avis: S’il est un roman à lire au cœur de l’hiver, à la lueur d’une âtre vacillante, emmitouflé dans les couvertures, à l’abri des tempêtes de neige qui ébranlent l‘obscurité, il s’agit bien de Wuthering Heights, autrement célébré en français sous le titre mystérieux et non moins angoissant des Hauts de Hurle-Vent. Cet unique ouvrage d‘Emily Brontë, qui vient s’inscrire dans une esthétique romantique noire des plus exacerbées, est une merveille narrative à l’imagination débordante, où les personnages sont peints d’une manière brute et abyssale, s’inscrivant dans la lignée des inoubliables figures de la littérature anglaise.

En premier lieu, c’est l’ambiance qui se dégage des pages qui nous étreint et nous environne aussitôt. Terres vallonnées balayées par les vents et la pluie, englouties sous une épaisse couche de neige une fois l’hiver installé, couvertes de bruyères mauves au printemps. Région abrupte où le climat oscille brusquement d’un extrême à l’autre, au cœur de laquelle trône l’inquiétante demeure des Hauts qui est sans cesse fouettée par les tempêtes. C’est dans cet espace isolé du monde que vivent les Earnshaw, respectable famille bourgeoise qui va connaître un cataclysme sans précédent dès lors que le père ramènera de son excursion à Londres un jeune enfant abandonné aux allures de bohémien. Ce dernier sera appelé Heathcliff et va connaître une enfance terrible entre les mains de son demi-frère, Hindley, après la mort du père de ce dernier.
Non loin de là, à plusieurs milles des Hauts, à Thrushcross Grange, réside la famille Linton, à l’opposé de la ténébreuse demeure des Hauts, cette douce maison est environnée d’une nature belle et bienfaisante. Les deux familles vont s’unir grâce au mariage de l’instable Catherine Earnshaw (profondément attachée à Heathcliff depuis son enfance) et du beau et élégant Edgar Linton. C’est à ce moment-là que Heathcliff s’enfuit pour revenir trois ans plus tard et accomplir sa terrible vengeance sur Catherine et son entourage. La mort devient alors une présence omniprésente dans le roman et préfigure de grands malheurs qui viennent servir les manigances du cruel et non moins brutal Heathcliff. Ce personnage central est un condensé de forces maléfiques, il est à de multiples reprises comparé au Diable et ne se lasse pas d’abattre ses grandes mains sur des joues fragiles et de bouleverser de terreur son entourage.

Une galerie de personnages est ainsi soigneusement peinte par Emily Brontë qui décrit avec intelligence et profondeur les sentiments et les caractères de chacun. On retrouve ainsi le contrepoint de Heathcliff en la personne d’Edgar Linton, son rival, le mari de sa bien-aimée Catherine. Elégant, vertueux, charmant et sincère, il est l’antithèse parfaite de Heathcliff qui est rustre, agressif, violent et fourbe. La liste est longue et je m’abstiendrai d’en faire une énumération exhaustive qui serait ennuyeuse et bien trop complexe. J’ajouterais seulement que j’ai été très touché par le personnage de Hareton Earnshaw qui est peut-être l’un des seuls personnages à posséder une force d’évolution qui lui permettra de s’extirper de sa destinée à l’origine maudite.

En effet, ce roman s’apparente étroitement à une pièce tragique, la mort rôde, et le destin semble ne jamais arrêter sa folle mécanique de destruction. Les familles Earnshaw et Linton sont maudites et les générations plongent chacune dans le néant le plus absolu. La nuit est omniprésente dans ce roman et devient le temps des trahisons, des coups de sang et des visites spectrales. Emily Brontë a réussi à instiller subtilement dans son récit des apparitions fantomatiques à vous faire pâlir d’effroi et parvient ainsi à s’inscrire dans cette esthétique du romantisme noir, gothique, où les morts viennent terroriser les vivants qui ont commis des fautes et se doivent de les supporter comme une chape de plomb durant toute leur misérable existence. L’ambiance glauque et ténébreuse de ce roman vous envoûtera et vous retiendra abasourdi jusqu’à la dernière page.

Et encore tellement de choses à dire…

Histoire d’amour sinistre et envoûtante. Atmosphère nocturne pénétrante. Structure narrative parfaite. Chef d’œuvre anglais. Assurément un des classiques les plus envoûtants de ces derniers siècles. A lire d’urgence!

jeudi 16 décembre 2010

L'Homme est un loup pour l'Homme...

Blessés de Percival Everett.

Editions poche Babel, novembre 2008, 270 pages.

Résumé: Voilà des années que John Hunt, qui a maintenant atteint la quarantaine, a choisi de se détourner de la société des hommes en allant vivre dans un ranch où, aux côtés d'un oncle vieillissant, il élève des chevaux. Mais le fragile éden de ces deux hommes noirs dans le grand Ouest américain vient à se fissurer : un jeune homosexuel est retrouvé dans le désert battu à mort, un fermier indien découvre deux de ses bêtes sauvagement assassinées, et l'inscription « Nègre rouge » en lettres de sang dans la neige... C'est dans ce contexte menaçant que John s'interroge sur ses choix de vie depuis la mort tragique de sa femme, sur les silences coupables qui couvrent les agissements d'un inquiétant groupe néonazi, sur la fin imminente de l'oncle Gus, sur l'amour, enfin, qu'une jeune femme vient réveiller en lui...
Mon avis: Poignant. Percutant. Déstabilisant. Ces termes définissent ce qui m’a ébranlé au plus profond de moi lors de la lecture des derniers mots du texte. La dernière page se ferme, et un indéfinissable malaise nous étreint, une émotion forte vient nous ébranler de part en part, comme une puissance délivrée dans l’élan narratif du roman et qui explose dans un dénouement des plus tragiques. Rarement des romans auront autant soulevé un tel sentiment d’horreur, d’incompréhension et d’impuissance pour le lecteur. On est ici en présence d’un roman sur le drame de la vie dans ce qu’elle a de plus fragile, de plus éphémère et de plus terrible. L’émotion est à son comble, elle est viscérale.

Le roman se bâtit sur une intrigue croissante qui évolue dans un sens tragique, on sent poindre à chaque page le drame imminent. Les ombres de la mort hantent l’écriture de Percival Everett et rôdent inexorablement autour du ranch de John Hunt. Les menaces font signe tout le long du roman: le coyote brûlé vif, un meurtre à caractère homophobe, l’altercation entre les deux rednecks et Robert et David, du bétail massacré, du sang dans la neige… Cet ensemble prépare peu à peu le coup de théâtre final où va se jouer toute la symbolique du roman. Il est tout de même important de souligner que Blessés traite avant tout de la haine sexuelle, ici l’homophobie, plutôt que de la haine raciale. Cependant, des allusions sur le racisme sont soigneusement intercalées dans le roman et permettent de tisser une toile de fond rurale peu réjouissante comme le décrit le narrateur à Robert qui l’interroge sur les ennuis qu’il a pu rencontrés concernant sa couleur de peau dans ces régions reculées: « Evidemment petit, on est en Amérique. Il y en a, des fanatiques. (…) Par ici c’est plein d’imbéciles sans la moindre ouverture d’esprit » (p.72). Cette Amérique personnifiée par l’intolérance et la violence des haines en tous genres est reprise dans ces méditations du narrateur aux pages 47 à 48: « (…) je lus les articles concernant le meurtre de l’homosexuel. Tous [les journaux] donnaient à peu près la même version (…) la mise en cause implicite , pour ne pas dire la dénonciation ouverte, de l’intolérance maladive qui sévissait en milieu rural et dans l’Ouest en général. Je ne pus qu’approuver: cette maladie s’appelait l’Amérique. » (p.47-48)

Le roman est l’écho tragique de toutes ces haines qui s’entremêlent, et ne laisse apparaître qu’une unique issue fatale, comme un voile de pessimisme, voire de fatalisme, quant à l’existence de ce fléau qu’est l’intolérance et qui vient gangrener l’Amérique. Cette dénonciation sans détour de Percival Everett est d’autant plus forte qu’elle est sous-entendue par une écriture en apparence simple et dirigée vers l’essentiel, vers l’intérêt dramatique du récit. Mais au-delà, derrière les lignes se dégage les forces de l’implicite qui viennent donner une dimension universelle au récit. Le roman s’apparente alors à un cri déchirant, hurlement de révolte impuissant qui se perd dans le néant de la nature humaine, « l’Homme est un loup pour l’Homme » (Hobbes).

Par certains aspects, Blessés m’a évoqué cette littérature américaine des grands espaces où la nature, dans tout ce qu’elle a de plus grandiose et infinie, vient appuyer la croyance en la paix que l’homme retrouve loin de ses semblables, mais qui, parfois, se révèle autrement plus cruelle et souligne au contraire la grande vulnérabilité de l’être humain. Ainsi le roman Julius Winsome de l’américain Gerard Donovan raconte l’histoire d’un homme vivant en ermite au cœur d’une forêt ayant pour seule compagnie son chien, répondant au nom ô combien symbolique de... Hobbes! Ce dernier sera tué par des chasseurs et son maître blessé, effondré dans la perte, va tenter de venger son fidèle compagnon. La folie humaine dans tout ce qu’elle a de plus triste et désespérée est ici évoquée. Mais la comparaison s’arrête là, car Gerard Donovan n’est pas un auteur noir, et son roman ne traite pas des haines raciales ou sexuelles.

Blessés est pour moi une réussite magistrale qui parvient à hisser notre sentiment d’horreur à un niveau rarement atteint et qui vient bouleverser notre vision de la société qui est révélée ici sous son jour le plus sinistre. Ainsi, on peut considérer cette grotte qui fait l’objet de quelques passages du roman, et notamment de ses premières lignes, comme le symbole d’un abri contre la violence extérieure, contre les déchaînements mortifères du dehors, mais cet abri n’est que bien peu de protection face à l’inéluctable.

Un roman émouvant, qui donne un coup de poing à notre conscience. COUP DE COEUR!