dimanche 8 août 2010

Ca brille, ça brille... mais que c'est triste!

Hudson River de Joyce Carol Oates.


Editions Le Livre de Poche, 05/2006, 665 pages.

Résumé: « À Salthill-on-Hudson, on cultive les orchidées et on roule en voiture de luxe. On est beau, on est riche et on vit comme suspendu hors du temps. Mais quand Adam Berendt, le sculpteur aimé de la commune, trouve la mort dans un accident de bateau, c'est tout ce petit monde idyllique qui est précipité dans le chaos. Une question obsédante taraude la ville entière : qui était vraiment Adam Berendt ? »

Mon avis: Il y a des auteurs à la renommée vertigineuse, au talent reconnu entre tous, et pourtant on tarde toujours à les connaître. Cette fois-ci, je me suis laissé porter par un « coup de foudre de librairie ». Autrement dit, j’ai été séduit par ce livre de poche: la quatrième de couverture alléchante sans être transparente, une couverture sobre et élégante, une épaisseur appétissante… comment ne voulez-vous pas être séduit par le doux titre de Hudson River, d’autant plus que le nom fameux de Joyce Carol Oates vous bat aux oreilles comme un tambour d’avertissement: « Attention, grand auteur à l’horizon! ». Quelle ne fut pas ma surprise de dévorer ce livre en quelques jours et d’en apprécier chacune des pages, chaque mot, jusqu’à l’obsession d’en savoir toujours plus.

Joyce Carol Oates, c’est d’abord une écriture et un talent de narration admirable. Hudson River est bâti autour d’une intrigue commune: celle de la disparition du mystérieux et pourtant aimé Adam Berendt, disparu tragiquement dans une noyade héroïque. Et toute une ronde de personnages, tous aussi subtilement maniés par l’auteur, qui gravitent autour du noyau Adam Berendt et qui prennent une consistance de plus en plus épaisse. Chaque protagoniste est travaillé et remanié dans le récit, de façon à l’approfondir page après page. L’auteur les a habillés d’une étoffe psychologique sans faille qui prend ses racines dans une écriture toute en nuance. Les mots ne vous parviennent pas en une seule fois, ils se réfléchissent les uns aux autres pour apporter un sens plus profond au récit et lui donner une consistance plus subtile. Les mots de Joyce Carol Oates sont pourtant simples, mais elle parvient à leur insuffler une motivation propre qui sert la qualité de son intrigue et de ses personnages.

Les personnages de ce roman paraissent semblables en apparence mais éloignés dans leur pensée les plus intimes que l’auteur prend plaisir à dévoiler à son lecteur. En apparence, ils habitent tous dans une banlieue bourgeoise richissime répondant au nom guilleret de Salthill-on-Hudson où les maisons deviennent des demeures gigantesques, où les jardins rivalisent de couleurs, où les femmes s’habillent en Dior et roulent en voitures de luxe, tandis que les maris partent travailler en semaine dans la Grosse Pomme et jouent au golf le samedi. Un cadre idyllique pour des existences dorées. Mais seulement en apparence… Chacun des personnages va révéler ses pensées les plus intimes dès lors que Adam Berendt, un homme (un artiste sculpteur) en marge de la petite société coquette de Salthill mais immensément apprécié, notamment par la gente féminine, va brusquement disparaître. Les femmes sont mises en avant dans ce roman: le combat de chacune pour survivre à un évènement qui va les bouleverser jusqu’au plus profond de leur chair et les amener à reconsidérer leur existence. Elles sont toutes éprises d’Adam et se demandent quel sens va désormais gouverner leurs vies qui semblent soudainement si fades et mornes. L’argent ne fait pas le bonheur, c’est bien connu. Une série d’évènements tragiques, malheureux mais parfois heureux va alors souffler sur la vie de ces femmes et leur apprendre à vivre avec les aléas de l’existence, la vraie. Il en va de même pour les hommes, des époux harassés de travail, qui ne trouvent dans leur foyer qu’une ébauche de stabilité financière et conjugale… et l’amour dans tout ça?!

Hudson River est un roman du désir, de l’amour, des passions inavouées, des tendresses refoulées, des pulsions érotiques. Les testostérones se mettent à vibrer dans l’air tandis que les talons aiguilles frappent frénétiquement le sol afin de guider les oreilles mâles dans le doux nid des foyers exubérants de Salthill-on-Hudson. La mort d’Adam Berendt semble déclencher une véritable vague de désespoir amoureux où chacun va essayer de saisir et connaître de nouveau les joies du premier regard, de la première caresse… et du sentiment amoureux, loin des mariages arrangés. Toute cette petite société éclate derrière les façades étincelantes des villas pour partir en quête du bonheur. Ce qui va mener le lecteur à vivre de folles aventures aux côtés de la magnifique et si seule Abigail des Pres, le naïf Lionel Hoffmann et sa femme légèrement folle, Camille Hoffmann, puis la pulpeuse et glamour Augusta Cutler, l’intrépide et maladroit avocat Roger Cavanagh, sans oublier celle qui m’a le plus touché: Marina Troy, une libraire charmante, éprise d’Adam Berendt et qui va essayer de poursuivre son existence à ses côtés malgré sa perte, une belle histoire.

J’ai été fort bavard mais il y a encore tellement de choses à vous dire à propos de ce roman formidable… Tout ça pour vous dire qu’il serait dommage de passer à côté d’un si grand chef d’œuvre. Vraiment. Joyce Carol Oates a réussi un coup de maître en écrivant ce manège social savamment orchestré, et qui laisse une impression indélébile. Les personnages continueront encore de me hanter… et je l’espère bien. Hudson River est une merveille, n’hésitez surtout pas.

Coup de cœur !!!

10 commentaires:

  1. Ton avis est excellent et forcément je note ce titre. J'avais déjà dans ma LAL "Nous étions les Mulvaney" mais je ne l'ai pas encore ouvert. Il me tarde de découvrir cet auteur même si bizarrement j'ai aussi une certaine appréhension... Mais bon, un coup de coeur ça ne se refuse pas ! :D

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  2. J'ai envie de découvrir cet auteur. On lit beaucoup de billets sur ce livre pour le moment dans la blogosphère. Il me tarde de me faire mon opinion. Sa bibliographie est très longue donc je pense que je vais commencer avec le titre que tu as lu. Ton billet était vraiment intéressant et très détaillé. C'est agréable à lire et ça donne surtout envie de découvrir le livre ;D

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  3. Un superbe commentaire que tu nous as présenté là. J'ai ce livre dans ma pile à lire et il me tarde! Je n'ai lu qu'un seul roman de cette auteure ("Délicieuses pourritures" qui devrait d'ailleurs te plaire), qui est incontestablement talentueuse. Sa bibliographie est d'ailleurs effarante, elle contient plus de 60 titres!

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  4. Bravo pour cet excellent commentaire Morrison. Une auteure que j'apprécie beaucoup. N'hésite pas «à faire connaissance» avec sutres de ses écrits. ;-)

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  5. @ Belledenuit: ton appréhension est toute justifiée car c'est une auteur reconnue et qui tend à devenir une figure magistrale de la littérature américaine contemporaine, mais une fois que t'es entrée dans ses pages, tu n'en ressors plus ^^ Il me tarde de savoir ce que tu auras pensé de "Nous étions les Mulvaney" :D

    @ Myrddin: c'est tout le bonheur que je te souhaite: d'apprécier ce livre autant que moi. En tout cas, pour une première lecture, c'est très satisfaisant ^^ Au plaisir de te lire.

    @ Miss: tu vas te régaler, sans aucun doute :D Oui, sa bibliographie est vertigineuse, pour notre plus grand bonheur ^^ Au passage, je note sans hésiter "Délicieuses pourritures", merci beaucoup :D

    @ Suzanne: je suis bien parti pour me lancer à l'assaut de sa grande bibliographie car ce coup de coeur est indélébile et je compte bien le poursuivre :D Une auteur formidable!

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  6. Ta chronique me donne vraiment l'envie de lire ce livre. Merci

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  7. Je note aussi! Ton billet est très bien! Ça me rappelle vaguement Edith Wharton... Je n'ai encore jamais lu Oates...

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  8. J'adore Joyce Carol Oates, mais je ne connais pas ce titre. Je note...
    (PS : tu as raison, la couverture est splendide !)

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  9. @ Fleurdusoleil: je suis sûr que tu vas adorer :D

    @ Allie: mmmh, tu m'intrigues beaucoup avec Edith Wharton, je note volontiers :D Je te souhaite bien du plaisir avec Carol Oates !

    @ Céline: bienvenue ici, Céline :D Je ne peux que te recommander ce titre, tu vas adorer si tu es déjà une inconditionnelle de J.C Oates :D ! Au plaisir de te lire. (Oui, la couverture est très belle, elle attire inévitablement le regard!)

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  10. Voici une très belle note sur ce roman que j'ai terminé hier. Tout comme pour les deux autres que j'ai lu d'elles, j'ai adoré la plume de Oates, mais encore plus que pour "Eux", j'ai apprécié la critique pointue de la société américaine. ELle s'attaque cette fois aux banlieues chics et on trouve bien plus de profondeur que par exemple dans la série adulée du public "Desesparate Housewives". Un roman qui est pour moi majeur si l'on s'intéresse aux souffrances dissimulées du monde doré et clinquant des riches américains.

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