jeudi 16 septembre 2010

"C'est ici que vit le diable"

Suite(s) impériale(s) de Bret Easton Ellis.



Editions Robert Laffont Pavillons, 09/2010, 230 pages.

Résumé : « Au milieu d'une nuit de cauchemar, deux mots apparaissent sur le miroir d'une salle de bains : «Disparaître ici.» Vingt-cinq ans plus tôt, ces mêmes mots se déployaient sur un panneau publicitaire de Sunset Boulevard. Un matin, des étudiants découvrent près d'une poubelle ce qu'ils imaginent être un drapeau américain trempé de sang. C'est en fait un cadavre. À la fin d'un week-end de drogues et d'orgies à Palm Springs, une fille contemple une montagne au-delà de la plaine désertique et murmure : «C'est le lieu du passage.» Elle ajoute en pointant le doigt : «C'est ici que vit le diable.» C'est dans un Los Angeles évanescent, peuplé de fantômes et d'hallucinations, que Clay, le protagoniste de Moins que zéro, revient passer les vacances de Noël. Un quart de siècle s'est écoule et la chirurgie esthétique a rendu la plupart de ses anciens amis méconnaissables. Le cinéma, qui l'emploie comme scénariste, paraît une copie de plus en plus délavée de la réalité et la réalité elle-même, un mauvais film dans lequel chaque personne rencontrée compte sur lui pour obtenir un rôle. Clay pense qu'une fille, une seule, Rain Turner, a peut-être ses chances. »

Mon avis : c’était avec une impatience non dissimulée que j’attendais ce nouveau roman de l’auteur américain le plus acide de sa génération, après cinq années de silence, suite au déjanté Lunar Park . Mon attente était nourrie essentiellement par cette retrouvaille avec Clay, adolescent antipathique et paumé dans Moins que zéro qui apparait près de 25 ans plus tard dans la métropole qui l’a vu grandir dans un luxe clinquant mais vide de tout sens, en un mot, illusoire. Dans Suite(s) impériale(s) il revient sur les lieux de sa perdition, dans la cité des Anges (quelle ironie !), là où rien n’a changé, sinon les visages de ses anciens amis (le Botox a fait des dégâts !). En effet, tout est resté figé dans la corruption, les amitiés factices et avantageuses, les porte-monnaie gangrénés par des histoires de commerces glauques, des jeunes gens paumés en quête de célébrité qui sont déjà condamnés à errer tels des fantômes dans les rues d’une ville gigantesque et monstrueuse qui ne demande qu’à les engloutir.

Cette suite fait honneur à l’esprit de l’excellent Moins que zéro qui est devenu, à l’image de L’Attrape-coeurs de Salinger, le roman d’une jeunesse désenchantée et vouée au Vide de l’existence. Bret Easton Ellis a intégré dans cette suite des ingrédients du polar et du roman noir qui lui permettent de hisser son récit à un degrès supérieur de noirceur. Toujours entiché de son imperturbable analyse d’une société aisée vouée à une existence vide de sens et à une corruption toujours plus sordide, l’auteur exorcise ses propres peurs et angoisses, donnant ainsi à Clay toute l’étoffe d’un anti-héros moderne qui ne fait que répondre à une société morne et délibérement cruelle. L’industrie du cinéma en est ici le parfait exemple. Milieu déjà artificiel où les apparences comptent en priorité, l’envers du décor apparait d’une manière encore plus sinistre. On assiste, impuissant et en position de voyeur, à la déchéance des personnages et notamment de Clay, en proie à une paranoia grandissante (impossible de ne pas penser à Patrick Bateman de American Psycho) et qui va se retrouver piéger dans une machination perverse. Tout est bon pour servir ses intérêts, surtout dans l’industrie implacable de Hollywood. Des meurtres viennent alors s’ajouter à l’intrigue, signant en lettres de sang le destin des protagonistes.

Il est difficile de ne pas être mal à l’aise face à l’écriture détachée et proprement démunie d’émotion de Bret Easton Ellis qui nous donne à voir des vies sales et répugnantes sans jamais annoncer aucun état d’âme. Là est tout sa force. Les sentiments n’ont pas de place, tout n’est qu’égoïsme et narcissisme. La dernière phrase du livre est percutante : « Je n’ai jamais aimé personne et j’ai peur des gens ». Elle résume à elle-seule l’esprit du roman et de son premier opus, Moins que zéro. En parlant de l’écriture, l’auteur s’est amélioré dans son style, toujours incisif et brouillon, vague et désarmant, qui est sa marque de fabrique, mais aussi et surtout plus travaillé et poétique. Ainsi son récit est plus fluide et son intrigue fait monter une tension toujours plus étouffante. Un bon remake de roman noir.

Cependant, cette suite était-elle vraiment nécessaire ? Je ne pense pas. J’attends Bret Easton Ellis ailleurs. Il aurait du laisser ses protagonistes emprisonnés dans son tout premier livre, qui a d’ailleurs fait sa renommée et son succès mondial. Le fait de les retrouver à l’âge adulte a quelque chose d’excitant au début, mais on se rend bien vite compte que l’histoire est la même. On prend les mêmes et on recommence, comme on dit. D’où cette intrigue de polar sombre et violent, afin de camoufler une redondance ? Toujours est-il que j’ai pris grand plaisir à lire ce nouveau roman de Mr Easton Ellis, et j’attends déjà son prochain livre avec impatience (je sens que ça va être long...) et surtout : je l’attends ailleurs car pour Clay, il est temps de « Disparaitre ici ».

4 commentaires:

  1. J'ai parfois du mal avec un auteur qui reprend, des années plus tard, des personnages d'un autre roman. Tout dépend. Dans ce cas-ci je vois que ce n'est pas nécessairement une réussite.
    Je n'ai jamais lu Bret Easton Ellis. Ses livres semblent assez complexes. Je ne sais pas, peut-être qu'un jour je tenterai...

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  2. J'aime beaucoup l'analyse que tu consacres au personnage de Clay : en mettant en exergue la dégradation de son état mental, dont la paranoïa, le comparer à Pat' Bateman est assez judicieux (étant donné que lui aussi fait une descente aux enfers et devient de plus en plus malade au fil des pages) ; tout comme montrer qu'il n'est aussi que le personnage habité des impulsions et craintes de l'auteur (et l'écriture prouve encore qu'elle est l'un des meilleurs exhutoirs) !

    Après, il est vrai que l'on se retrouve dans le même schéma que dans "Moins que Zéro", néanmoins, faire une suite n'est pas plus mal, je trouve, afin de montrer que même à l'âge adulte, les personnages n'ont pas gagné en maturité et se sont même enfoncés dans leurs univers factice au point de ne plus pouvoir en sortir, leur descente aux enfers est finalisée !

    "Suite(s) Impériale(s)" reste en tout cas, un très bon roman de Bret Easton Ellis (pas son meilleur mais quand même une réussite).
    J'attends bien entendu son prochain roman avec impatience, mais à en voir sa posture très nonchalente (cf : photos de son interview dans "Les Inrocks"), je crois (hélas) que l'on va attendre un petit moment ! =P

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  3. En passant, Allie, si tu veux essayer Bret Easton Ellis, je te conseille de lire "Moins que Zéro" et "American Psycho".
    Ce n'est pas tant que sa manière d'écrire est complexe, disons que c'est surtout écrit de manière à la fois très impliquée (pour tout le côté acerbe, cynique, critique de la société américaine bourgeoise, de la culture de consommation) mais aussi très noire, indifférente et détachée ce qui est très déconcertant et intriguant lors de passages très durs, ce qui amplifie le côté insoutenable (moments de violences, pensées des personnages quand ils dérivent dans la schyzophrénie ou la paranoïa)...
    Mais vraiment, essaye ;) Pour moi, Bret Easton Ellis fait parti des incontournables du roman noir américain ! ;)

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  4. Ton analyse me donne envie d'essayer Bret Easton Ellis, mais je ne sais que choisir entre son premier et celui-ci... Peut-être devrais-je lire les deux après tout? Disons que le résumé du dernier m'attire beaucoup... LA, monde du cinéma, c'est ce que je vois tous les jours maintenant, et il me plairait donc de (re)visiter la ville du point de vu d'Ellis. Tu penses que je ne voudrais plus me balader seule après?? Déjà que j'ai du mal parfois... à ce propos, la dernière phrase du narrateur m'a interpellée. "Je n'ai jamais aimé personne et j'ai peur des gens". Placé dans le contexte de Los Angeles, je trouve que cette phrase a beaucoup de sens. Peut-être cette assertion peut-elle faire l'effet d'un coup de poing, mais il me semble qu'une ville telle que LA est bien propre à inspirer de tels états-d'âme. On y voit tellement de choses... vraiment le pire comme le meilleur. Mais au final, je pense que cette monstrueuse ville laisse celui qui y vit très seul - mais entouré de beaucoup de relations superficielle cependant - et frustré... frustré car il y a quelque chose d'insaisissable dans cette ville, et sans doute n'a-t-il nul autre choix que le repli sur soi-même... c'est une vision assez sombre, mais elle fait partie du quotidien, après ce ne sont que mes modestes impressions!

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