mercredi 2 mars 2011

Les fantômes du passé... des blessures à panser...

Fille noire, fille blanche de Joyce Carol Oates.


Editions Philippe Rey, 10/2009, 380 pages.

Résumé: « Elles se rencontrent au coeur des années soixante-dix, camarades de chambre dans un collège prestigieux où elles entament leur cursus universitaire. Genna Meade, descendante du fondateur du collège, est la fille d'un couple très «radical chic», riche, vaguement hippie, opposant à la guerre du Vietnam et résolument à la marge. Minette Swift, fille de pasteur, est une boursière afro-américaine venue d'une école communale de Washington. Nourrie de platitudes libérales, refusant l'idée même du privilège et rongée de culpabilité, Genna essaye sans relâche de se faire pardonner son éducation élitiste et se donne pour devoir de protéger Minette du harassement sournois des autres étudiantes. En sa compagne elle voit moins la personne que la figure symbolique d'une fille noire issue d'un milieu modeste et affrontant l'oppression. Et ce, malgré l'attitude singulièrement déplaisante d'une Minette impérieuse, sarcastique et animée d'un certain fanatisme religieux. La seule religion de Genna, c'est la piété bien intentionnée et, au bout du compte inefficace, des radicaux de l'époque. Ce qui la rend aveugle à la réalité jusqu'à la tragédie finale. »

Mon avis: une lecture étrange que je vous présente maintenant. J’ai déjà eu l’occasion de lire un roman de Joyce Carol Oates, que j’avais fortement apprécié, Hudson River, et je dois dire que Fille noire, fille blanche m’a quelque fois laissé de marbre. Mais en même temps, une forte émotion émane de ces pages douloureuses, qui racontent l’histoire d’une jeune étudiante noire dans une faculté américaine élitiste où les fantômes ségrégationnistes refont peu à peu surface. C’est pourquoi je retiendrais notamment cette espace tragique qui occupe le roman et qui m’a largement interpellé, bien plus finalement que l’écriture de l’auteur (que j’ai trouvé pauvre et relativement simple, loin de l’envolée narrative d’Hudson River qui est un enchantement) ou bien que l’intrigue, linéaire, parfois stérile et ennuyeuse. Cependant, il m’a semblé que ce « vide » pouvait permettre de mettre l’accent de manière plus forte sur la douleur et le cri déchirant de souffrance et de solitude qui hantent ce roman.

En effet, deux jeunes filles, une noire (Minette) et une blanche (Genna) vont partager la même chambre dans une université prestigieuse, fière de son passé féministe et antiesclavagiste, qui se veut un modèle d’intégration raciale. L’une est issue d’une famille relativement modeste, fille de pasteur, fortement croyante; et de l’autre, une jeune fille issue d’une riche famille puisque ses ancêtres sont eux-mêmes les fondateurs de cette université! Autant dire qu’un gouffre les sépare, le plus important étant celui de la couleur de peau… Tout le roman fait écho à un passé douloureux, celui de l’esclavage noir ainsi que des manifestations meurtrières de sombres groupuscules comme le Klu Klux Klan qui ébranleront tragiquement, et à jamais, les générations suivantes, dont fait partie Genna. Ce passé, lourd à porter, est toujours présent, profondément ancré dans les racines presque génétiques des Noirs américains. Genna est l’incarnation de cette haine envers les Blancs, bourreaux ancestraux, qui auront ébranlé à tout jamais les mentalités et les conditions des hommes noirs en Amérique. Ce sujet, très délicat, est subtilement représenté par Joyce Carol Oates, qui prend le temps de décrire une jeune fille noire hantée par ses démons, totalement hermétique aux Blancs, antipathique mais compréhensible, même si parfois, elle peut très franchement agacer! Mais au final, un profond sentiment de solitude et de souffrances silencieuses se dégagent de cette personnalité aux apparences inflexibles et dures, et étreignent le lecteur, lui-même impuissant.

Ce roman, c’est celui d’une tragédie, romancée certes, mais criante de vérités qui blessent et qui tortureront à jamais tout un peuple, toute une nation d’hommes et de femmes à la peau sombre, victimes depuis des générations d’un racisme monstrueux qui restera encore et toujours une blessure profonde, incapable de cicatriser.

Un roman d'une qualité mitigée, mais touchant, qui, par sa valeur historique et commémorative et son actualité criante, mérite le coup d’œil.


3 commentaires:

  1. je ne parviens pas à entrer dans les univers de
    Joyce Carol Oates.quel que soit le livre.Alors si tu es resté de marbre avec celui là...

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  2. Il me tente bien celui-là, je note !

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  3. @ Pyrausta: peut-être que tu l'apprécieras beaucoup :) Mais il est vrai que j'ai été déçu par rapport à l'excellent "Hudson River", mais on m'a dit que Joyce Carol Oates avait des niveaux d'écriture assez différents selon les sujets qu'elle traite, c'est plutôt curieux :)

    @ Aurora: au plaisir :)

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